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hérvé juvin - Page 2

  • Sur la situation géopolitique dans le monde...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous une intervention d'Hervé Juvin au Cercle National des Armées dans laquelle il brosse un tableau de la situation géopolitique mondiale.

    Économiste de formation et député européen, Hervé Juvin est notamment l'auteur de deux essais essentiels, Le renversement du monde (Gallimard, 2010) et La grande séparation - Pour une écologie des civilisations (Gallimard, 2013). Il a également publié un manifeste localiste intitulé Chez nous ! - Pour en finir avec une économie totalitaire (La Nouvelle Librairie, 2022).

     

                                              

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  • USA, pays du désespoir...

    Le 16 mai 2023, Charles Gave recevait, sur la chaîne de l'Institut des libertés, Xavier Raufer  et  Hervé Juvin pour évoquer la dégénérescence civilisationnelle qui frappe les États-Unis...

     

                                              

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  • Pour une écologie nationale !...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Hervé Juvin, cueilli sur son site personnel et consacré au localisme.

    Économiste de formation et député européen, Hervé Juvin est notamment l'auteur de deux essais essentiels, Le renversement du monde (Gallimard, 2010) et La grande séparation - Pour une écologie des civilisations (Gallimard, 2013). Il a également publié un manifeste localiste intitulé Chez nous ! - Pour en finir avec une économie totalitaire (La Nouvelle Librairie, 2022).

     

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    Pour une écologie nationale !

    Ce mois de mai 2023, le localisme fait son entrée dans le dictionnaire Petit Larousse ! Cette reconnaissance d’un mouvement qui grandit en Europe et dans le monde salue tous ceux, de France et d’ailleurs, qui bénéficient d’un environnement sain, bienveillant et beau, qui veulent le conserver, le promouvoir et le transmettre.

    Ces localistes ont quatre ennemis.

                1 ) Les apprentis sorciers qui veulent leur faire croire qu’en abandonnant leurs traditions, leurs frontières et leurs identités, et en donnant les clés à ceux qui se croient supérieurs par élection divine ou par leur génie propre, le monde sera meilleur. L’autonomie locale, territoriale, communautaire, est la voie de la transition écologique réussie.

                2 ) La financiarisation qui veut que tout soit à vendre, les hommes comme les gênes et la terre comme l’air, que les biens communs soient privatisés, et que le monde ne soit plus qu’un marché commandé par la rentabilité du capital. L’écologie est la forme la plus actuelle du combat social pour l’égalité et les libertés. Décidons nous-mêmes de ce qui nous concerne !

                3 ) La globalisation, qui conduit à proposer des réponses globales à des problèmes tels que la disparition de la biodiversité, l’épuisement des ressources naturelles et le dérèglement climatique, qui ont pour première cause la globalisation elle-même. L’avenir est à l’éloge des frontières :

                4 ) L’intrusion du numérique dans chacun des aspects de la vie, à travers l’identité numérique, la monnaie numérique, la santé numérique, qui séparent l’homme de la nature plus radicalement encore que la révolution industrielle. « Tapez 2, tapez 3″ est l’arme de destruction massive des communautés, des proximités, et du localisme. Plus jamais ça !

                Le silence des prétendus « Verts » sur le sujet est assourdissant. L’écologie est le prétexte aux politiques les plus anti-sociales, anti-démocratiques et anti-libérales poursuivies depuis trente ans. La transition écologique est un chèque en blanc donné aux dérives de techniques qui menacent l’existence de l’humanité elle-même, de l’IA aux vaccins à ARN messager. Et l’alignement des Verts au Parlement européen sur les intérêts américains devrait avertir sur leur complicité avec la ploutocratie qui s’est emparée de Washington, et dont le grand peuple américain entreprendra tôt ou tard de se libérer.

                Le temps est venu d’élever la voix sur ces quatre sujets. Pour que renaissent nos villages, nos villes et nos régions. Pour que nos traditions, nos singularités, et ces cultures nées de siècles d’intimité avec des écosystèmes tous différents, tous uniques, redeviennent notre bouclier contre les illusions du changement. Pour renouer l’alliance entre les hommes et la nature dont ils sont membres.

                Ceux qui prétendent nous conduire vers un monde meilleur n’ont réussi à ce jour qu’à nous diriger vers le pire des mondes, celui des zélateurs de Davos, des Hariri et cie, celui contre lequel Claude Lévi Strauss, Noam Chomsky ou Hannah Arendt n’ont cessé de nous prévenir, un monde dont la diversité humaine et naturelle, notre trésor commun, aurait disparu. La banalité du mal est là, chez ceux qui prétendent changer l’humanité et faire advenir l’homme nouveau, ce qui a toujours, toujours désigné une tentation totalitaire.

    Attendre le salut du génie inventif de l’homme libéré de toutes entraves n’a fait à ce jour qu’aggraver les dégâts provoqués par la fuite en avant technique. La priorité écologique est de rendre à nos démocraties le pouvoir sur la science et la technique qu’elles ont abandonné. Il est urgent de retirer aux usuriers de la brevetabilité du vivant, de la privatisation de la santé, comme aux rentiers des « Intellectual property rights » les privilèges que nos démocraties leur ont abandonnés. Sinon, la science et la technique détruiront nos démocraties comme la « woke » culture détruit la nature humaine. Les économies de rente sont les pires ennemies du progrès collectif.

                La prétendue « transition écologique » ordonnée par l’Union européenne est au service du globalisme. Elle est à l’origine d’une régression sociale sans précédent. Elle est intrusive, supprime des libertés essentielles, et menace de s’en prendre à la propriété privée — les habitations qualifiées de « passoires thermiques » interdites à la location le seront bientôt à la vente. Qu’en diront des millions de Français, propriétaires expulsés ? Elle affirme comme des faits établis des paris incertains, comme les bénéfices écologiques du tout électrique, tout renouvelable, tout numérique. Et elle porte atteinte aux droits humains fondamentaux, suivant les commandements du World Economic Forum qui vient de déclarer que l’accès à l’eau n’était pas un droit humain (le 5 mai) !

                Cette transition est dictée de l’extérieur, par des ONG, des Fondations et des organisations étrangères aux Nations européennes. Elle a pour fonction stratégique de détruire les moyens de l’indépendance européenne, le nucléaire étant suivi par l’automobile allemande et l’armement français. La contrainte énergétique aggravée par les sanctions contre la Russie conduit les pays de l’Union à devenir des économies de service, dépendants de l’extérieur pour satisfaire les besoins vitaux de leurs populations. Les paniques écologiques, et d’abord le réchauffement climatique, ont été instrumentalisées pour obtenir le résultat attendu ; le sabordage par l’Europe des moyens de son indépendance — et d’abord, sa compétitivité industrielle, ses excédents commerciaux, bientôt, sa monnaie elle-même (qui analyse l’effet sur l’euro du déficit commercial allemand en 2022, 85 milliards d’euros, le premier depuis deux générations ?)

    La priorité écologique est localiste. Elle consiste à rendre nos territoires autocentrés et autosuffisants, à la fois pour réduire les risques liés aux dépendances extérieures, les pollutions de la mobilité forcée, et pour leur permettre d’exprimer le meilleur d’eux-mêmes pour l’exporter. Elle place sous contrôle citoyen les organisations financées depuis l’étranger. Les Français responsables de leur territoire, dans leurs frontières, au nom de ceux qui sont morts avant eux et de ceux qui naîtront après eux, sont les meilleurs intendants de la nature et de la vie que les nomades prédateurs sont prêts à vendre au plus offrant.

                L’alignement de l’Union européenne sur l’agenda globaliste mobilise la transition écologique pour mieux aligner, conformer, uniformiser, un cadeau aux groupes mondialisés dont le naufrage des PME européennes va révéler l’ampleur. La plus grande sottise, partout répétée, est que le changement climatique étant universel, appelle des réponses universelles. Double sottise, puisque le changement climatique dramatique ici peut être bénéfique là — la Russie pourrait en être bénéficiaire. Sottise encore, puisque la réponse à un dérèglement directement issu de la globalisation — transports, besoins en énergie, niveau de consommation — ne réside pas dans plus de globalisation, mais dans des approches locales, différenciées selon les territoires, respectueuses de traditions dont beaucoup résultent de l’adaptation séculaire à des écosystèmes spécifiques — qui peut soutenir que la réponse pertinente au dérèglement climatique soit identique en Finlande et en Sicile, au Bangla Desh et au Sahel, en Israël et en Alaska ?

    Et qui ne voit que beaucoup des normes dictées par les lobbys ont pour première fonction d’éliminer les PME et les artisans comme les solutions locales, au profit des produits standardisés des multinationales, ennemies de notre patrimoine comme de la beauté de nos villages et de nos villes ? Les normes éliminent la capacité d’organisation spontanée des sociétés humaines, pour la remplacer par les modèles des consultants, les tableurs des auditeurs, et la conformité globale. Voilà pourquoi toute politique écologique est conservatrice, localiste, et sociale — affirmant les droits des sociétés politiques au-dessus de ceux de la cupidité individuelle, de la rentabilité du capital et de la privatisation des biens communs.

                La transition écologique européenne est une aubaine pour la finance globale. Que signifient tant de milliards d’investissements dont seule la dépense publique assure la rentabilité ? L’indécence des subventions publiques que mobilise la transition écologique européenne, notamment dans les renouvelables, n’a d’égale que la violence des rentabilités atteintes grâce à l’argent public ; les contribuables européens financent à travers les prix d’achat garantis aux éoliennes l’une des pires escroqueries de leur histoire ! Le pillage de l’argent public a trouvé dans la transition écologique un eldorado.

                Il est tout aussi grave que la centralisation favorable aux géants de la gestion de capitaux et du crédit contribue à la destruction des autonomies territoriales et des singularités nationales et régionales. Elle se déroule au détriment des banques locales ou régionales, des coopératives et des mutuelles, des logiques territoriales et localistes. Son premier effet est l’éloignement des centres de décision, pour lesquels tout projet se réduit à des états financiers, sans visage, sans poignée de main, sans rien de ce qui fait société.

    Le second est l’alignement sur de prétendues normes de rentabilité internationales, souvent supérieures à 15 % annuels, qui n’ont rien à voir ni avec le niveau soutenable d’exploitation des ressources naturelles, ni avec le niveau soutenable des revenus d’une banque durable, de l’ordre de 5 % à 7 % — de quoi rémunérer un réseau, des salariés, des sociétaires, et le coût du risque. Enfin, c’est la difficulté d’accès à l’offre écologique que ces investissements sont supposés financer ; l’augmentation des rendements financiers se traduit toujours par une raréfaction de l’offre et de la demande solvables.

    Les exigences de rendement financier actuel sont en elles-mêmes destructrices de l’environnement et de la société ; il est grave que la transition écologique européenne se présente d’abord comme une aubaine pour la finance globale, appelée à mobiliser des capitaux, arbitrer des projets, gérer les investissements, sans aucun rapport avec l’utilité réelle, les services écosystémiques et la réalité territoriale (lire Arnaud Berger, Annales des Mines, XXX). Toute économie repose sur la gratuité des processus naturels — la germination des plantes, la croissance des arbres, le cycle de l’eau, la photosynthèse, n’ont pas de prix. Qui dira qu’ils n’ont pas de valeur ? Les systèmes par lesquels la prétendue transition écologique donne un prix à la vie, à la reproduction et à la nature sont des systèmes de mort — des systèmes qui réalisent la malédiction biblique de l’homme maître et possesseur de la nature, et condamnent ceux qui s’en inspirent à la ruine, à la haine, et à l’extermination finale. Tout projet écologique est localiste ; il restaure la liberté des acteurs à s’organiser selon leurs choix, à déterminer eux-mêmes les cadres et les statuts de leur action collective — et les formes associatives, coopératives ou mutualistes, comme les monnaies locales, qui préviennent l’accumulation des réserves ou leur concentration privée sont au cœur des solutions efficientes de financement. Et tout projet écologique appelle au contrôle collectif des techniques et de la science — le gouvernement des experts a toujours débouché sur les pires régimes politiques, l’avènement de l’homme nouveau a toujours ouvert des horizons de cauchemar, et ceux qui prétendent conduire l’humanité vers des jours meilleurs ont toujours été les pires ennemis des hommes d’ici, de chez nous et de leur terre que nous sommes.  

    Hervé Juvin (Site officiel d'Hervé Juvin, 9 mai 2023)

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  • Qui est légitime ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Hervé Juvin, cueilli sur son site personnel et consacré aux États-Unis qui sont devenus une puissance de désordre et de chaos et au monde qui se prépare contre eux...

    Économiste de formation et député européen, Hervé Juvin est notamment l'auteur de deux essais essentiels, Le renversement du monde (Gallimard, 2010) et La grande séparation - Pour une écologie des civilisations (Gallimard, 2013). Il a également publié un manifeste localiste intitulé Chez nous ! - Pour en finir avec une économie totalitaire (La Nouvelle Librairie, 2022).

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    Qui est légitime ?

    La puissance légitime appartient à qui apporte la paix.

    Longtemps, les États-Unis d’Amérique du Nord ont pu revendiquer la puissance mondiale parce qu’ils ont été une puissance d’ordre et de paix. Tenus par les limites de la confrontation avec le communisme soviétique, du bon sens et de la raison, les États-Unis ont joué un rôle que certains comparent à celui de l’Empire romain — un rôle de bienveillance armée. Les Européens se rappellent que Jean Monnet a accueilli le plan Marshall comme un moyen de l’indépendance de l’Europe, d’ailleurs en prévoyant une entente avec la Russie. Bob Kennedy a rapporté les sages instructions de JF Kennedy lors de l’affaire des fusées à Cuba en 1962 — l’Union soviétique n’a pas subi une défaite, une grande puissance ne doit pas être humiliée, et seule la paix a gagné. Qui s’en souvent aujourd’hui à Washington ? Et la sagesse de George Bush lors de l’invasion du Koweit par l’Irak a illustré encore en 1991 la retenue stratégique et l’intelligence politique des États-Unis — mettre fin à l’invasion, punir l’agresseur, mais laisser vivre le régime irakien, régime baasiste, laïque, opposé à l’islamisme radical. Qui sait encore à Washington ce qui signifient les mots de retenue et d’intelligence ?

    Depuis l’aventurisme des néoconservateurs, les États-Unis sont devenus une puissance de désordre, de chaos et de terreur. Et ils sont devenus le pire ennemi de leurs alliés, et leur propre ennemi. D’abord, par l’obsession militaire qui les conduit à entretenir 800 bases dans le monde — qui croit vraiment que la sécurité des États-Unis est à ce prix ? Et que disent les contribuables américains du racket de l’industrie militaire ? Ensuite, en vertu de la désignation de Nations comme cible de destruction — le général Wesley Clark s’est illustré en listant huit pays à détruire — de la Syrie à l’Afghanistan, de l’Iran à l’Irak, du Soudan à la Palestine, des millions de morts ont payé les crimes impunis des va-t’en guerre américains. Désormais, la majorité des peuples dans le monde savent qui sont les vrais terroristes, capables de réduire des peuples à la ruine et au chaos par le déchaînement de haines bibliques — et ils n’ont rien à voir avec les suspects désignés, l’Islam, les nationalismes ou les « rogue states ». Enfin et surtout, par l’incapacité du régime de ce capitalisme totalitaire qui a rompu tout lien avec le progrès collectif, le bon sens et la raison, à apporter bien être et prospérité aux populations — la montée de la misère aux États-Unis en est le meilleur exemple.

    Le piège ouvert par l’implosion de l’Union soviétique a fonctionné. Privé de son ennemi, l’empire américain en est venu à considérer le monde comme son ennemi — et à faire du monde son ennemi.

    Et ses promesses se sont évanouies. Celles de la paix et de l’ordre, d’abord. Celles ensuite de la démocratie comme libre choix par les peuples de leur destin. Celles surtout de la prospérité, qui désormais se situent clairement loin, ailleurs, et aussi, contre. Le résultat est là ; il était dangereux d’être l’ennemi des Américains, il est maintenant tout aussi dangereux d’être leur allié — Israël y réfléchit, l’Ukraine le paie d’une jeunesse foudroyée, et l’Union européenne devrait y penser.

    Quelle différence ! Le monde se détourne des États-Unis et cherche ailleurs la paix, la liberté, et la prospérité. L’accord de paix survenu sous l’égide de la Chine, au terme de semaines de négociations à Pékin, entre l’Arabie Seoudite et l’Iran, est exemplaire. Quelles que soient les pressions, les menaces, et demain peut être, les tentatives d’assassinat à l’encontre de Mohamed Ben Salman (qui n’est pas encore assuré de la succession au trône), la Chine a mis fin au diktat américain, à son parti pris et aux « deux poids, deux mesures » qui a ôté à Washington toute légitimité à intervenir dans la région. Et les menées conduites au Soudan, avec la trouble contribution des Émirats arabes unis et d’Israël, n’ont rien pour améliorer la légitimité de prétendus faiseurs de paix qui attisent la tempête et sabotent la paix revenue au Yémen.

    Le soutien au rebelle Emiti est-il le prix à payer par le Soudan pour avoir accepté des bases chinoises et russes, par la Ligue arabe pour avoir mis fin aux accords d’Abraham et au projet délirant du « Great Middle East », réintégré la Syrie et remis à l’ordre du jour la question des droits légitimes de la Palestine ? Une puissance incapable d’apporter la paix ne sait plus que se venger en suscitant la guerre, le désordre et la mort. Faut-il parler de fin de règne ?

    La proposition d’accord de paix à l’Ukraine, objet désormais d’échanges permanents entre Pékin et Kiev, recueille l’adhésion au moins tacite de la majorité des puissances opposées à la guerre comme aux sanctions, et menace de révéler l’isolement des États-Unis et de leurs colonies européennes. Et davantage est à venir. Si la rencontre à Delhi des ministres de la Défense russe et chinois a un sens, c’est bien que la Chine et l’Inde peuvent s’entendre, et sont conscients qu’un nouvel état du monde peut découler de l’entente des deux pays les plus peuplés de la planète, et qui seront aussi la première et la troisième économie du monde dans moins de dix ans.

    Le nouvel état du monde résultera à la fois du dividende démographique dont va bénéficier le monde indien (de l’Iran à la Birmanie, plus de deux milliards) et de l’intégration du continent eurasiatique à lui-même. L’Europe voit toujours dans la Chine l’atelier du monde, alors que la réalité est que déjà, les pays de l’Océan indien et de l’Asie du Sud-est, jusqu’à l’Indonésie, se substituent à elle ; les seuls pays de l’Océan Indien devraient fournir dans la prochaine décennie la moitié de la main d’oeuvre jeune et professionnellement formée du monde ! Et ces pays peuvent connaître des croissances fortes et durables parce qu’autocentrées, territoriales, et procédant des multiples accords de libre-échange, d’investissement dans les infrastructures de transport et de partenariats monétaires et financiers qui se nouent — les accords de l’Organisation de Shanghai et des BRICS n’étant que les plus connus de multiples liens qui promettent à chaque membre de bénéficier pleinement de ses avantages comparatifs dans une zone qui sera à la fois le premier marché du monde, le premier atelier du monde, et le premier continent à se libérer du racket imposé par le dollar.

    Ajoutons qu’à l’inverse de l’autosabotage entrepris par l’Union européenne au nom d’une transition écologique manipulée, la région de l’Océan indien est aussi celle qui disposera des plus grandes quantités d’énergie à bas prix, gaz et pétrole, voire charbon indonésien — et qui les utilisera. L’énergie reste le moteur de la croissance, et un pays qui limite son accès à l’énergie se condamne à la désindustrialisation, donc à la dépendance stratégique — qui le dit à Bruxelles ?     

    Pour qui sillonne la région, la rapidité avec laquelle la zone est en train de s’intégrer à elle-même est saisissante. Pipe lines et gazoducs, voies ferrées (comme celle qui va de la Russie à l’Iran, et branche le Transsibérien sur le Golfe persique), routes et autoroutes (comme le CPEC, corridor descendant d’Asie centrale vers les ports de Gwadar ou de l’Iran), aéroports, mettent fin au relatif cloisonnement qui faisait si bien l’affaire des anciennes puissances coloniales. Elle menace aussi la suprématie des puissances de la mer, les transports d’énergie, de matières premières, de biens finis ou semi-finis se faisant majoritairement par terre. Elle est surtout révélatrice de l’aveuglement de l’Union européenne, se laissant isoler des « Routes de la Soie », qui désormais se tournent vers le Sud, rendent à l’Iran le rôle de pivôt continental qui fut longtemps le sien, et promettent à l’Asie centrale une ouverture que la tutelle soviétique leur avait fait perdre.

    Le cœur du monde bat dans l’Océan Indian. Et s’entrevoit une profonde transformation des institutions internationales, la capacité croissante de chaque pays de commercer dans sa monnaie nationale, de préférence au dollar, devant conduire au développement de multiples marchés financiers recyclant les excédents commerciaux des pays exportateurs, facilitant le financement des dettes publiques comme des investissements privés, et mettant les pays de l’Océan Indien et de l’Asie à l’abri de la contagion des crises issues des dérives bancaires et financières américaines.

    C’est là du moins la perspective. Celle développée par exemple par Charles Gave, qui annonce un boom des investissements en infrastructures historique dans la région, donc une hausse des taux réels et de la production de biens réels irrésistible (l’Institut des Libertés, 3 mai 2023). Celle qui oublie à la fois les fragilités de la zone considérée et surtout, les réactions des autres acteurs à une perspective pour eux inquiétante, voire effrayante. Qui consulte la liste des participants aux organisations de la zone ne peut qu’être pris de doute ; coopération saine et durable entre l’Inde, le Pakistan et le Bangla Desh, quand les uns et les autres s’accusent de terrorisme, voire, dans le cas du Bangla Desh, du génocide de 3 millions de leurs citoyens en 1971 ?

    Coopération franche et ouverte avec le Brésil, dont le nouveau Président a bénéficié pour son élection de tous les soutiens que les États-Unis peuvent apporter ? Consistance d’accords qui réunissent des pays aussi différents que l’Égypte et le Mexique, l’Iran et le Vietnam ? Et même, accord durable entre la Chine et la Russie, qu’opposent tant de revendications territoriales non réglées à ce jour ? Les organisations régionales ou mondiales présentées comme des alternatives aux organisations construites par les États-Unis n’en ont à ce jour ni la consistance ni le caractère armé — les accords de défense, voire les alliances concurrentes de l’OTAN, du Quad (dont est membre l’Inde), de l’Aukus, sans parler des Five Eyes, sont sans équivalent ni alternatives à ce jour. Et demain ?

    Le plus décisif est aussi le plus préoccupant. La suprématie du dollar contribue à 20 % ou 30 % du niveau de vie américain — un niveau de vie dont il faut rappeler qu’il repose sur 33 000 milliards de dette publique aussi bien que sur un déficit éclatant d’investissements publics en infrastructures, etc. (le moindre drame de la Présidence actuelle n’étant pas que la France suit la même voie). Aucune puissance ne peut accepter sans se battre la baisse de son niveau de vie et de ses moyens qu’entraînerait l’abandon du dollar comme monnaie internationale. Dans la guerre hors limites qui se joue à partir de l’Opération spéciale russe en Ukraine, bien peu voient l’affolante perspective d’une puissance qui fut hégémonique, les États-Unis, menacés dans ce qui fut leur élan vital, la certitude de fixer le cours du monde, et d’apporter partout avec eux l’Ordre et la Loi, découvrant que le monde vivrait mieux sans eux, s’organise pour se passer d’eux, et condamnés à risquer une guerre mondiale pour conserver ce monopole du Bien qui reste la source de leur élan.

    Des soldats de l’armée indienne défileront à Paris pour le 14 juillet. C’est une première. La France aurait-elle compris l’urgence d’une politique de l’Océan Indien ? Catherine Colonna qui a récemment visité Delhi avait porté aux côtés de Jacques Chirac la défunte politique arabe de la France (lire Ahmed Youssef, « L’Orient de Jacques Chirac — la politique arabe de la France », Editions du Rocher, 2003). Dans ce cas comme dans l’autre, la France a-t-elle encore la liberté de choisir le monde qui vient, contre celui qui l’occupe ?

    Hervé Juvin (Site officiel d'Hervé Juvin, 9 mai 2023)

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  • La fin de l'ancien monde ?...

    Pour sa nouvelle émission sur TV Libertés, Chocs  du monde, Edouard Chanot reçoit Hervé Juvin pour évoquer avec lui la fin de l’ancien ordre mondial, dont la guerre en Ukraine semble être le révélateur.

    Économiste de formation et député européen, Hervé Juvin est notamment l'auteur de deux essais essentiels, Le renversement du monde (Gallimard, 2010) et La grande séparation - Pour une écologie des civilisations (Gallimard, 2013). Il a également publié un manifeste localiste intitulé Chez nous ! - Pour en finir avec une économie totalitaire (La Nouvelle Librairie, 2022).

     

                                          

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  • Tour d'horizon... (240)

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    Au sommaire cette semaine :

    - le dossier de la Fondation Identité et démocratie consacré au savoir et réalisé par Hervé Juvin...

    Du marché des savoirs à la société de l’ignorance

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    - la note de l'Observatoire de l'Immigration et de la Démographie consacré aux obstacles posés par les juges à la mise en œuvre d'une politique d'immigration ferme...

    Politiques d'immigration : le gouvernement des juges ?

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